Accueil | Qui suis-je ? | Fanfictions | Fictions originales | Fictions en commun |
Il n’est jamais trop tard pour faire un tour.
Nelly, une
petite femme d’un mètre soixante-cinq, les cheveux blancs légèrement ondulés,
des yeux bleus regarde par la fenêtre de
sa chambre, le ciel est azur. Il y a bien un ou deux petits nuages de beau
temps. Elle observe les arbres bouger légèrement, la brise doit être légère. Au
loin, elle voit la route monter lentement vers la forêt qu’elle a parcourue de
long en large durant toute son enfance avec son frère et sa sœur. C’était une
époque où on n’avait pas peur de laisser les enfants sans surveillance. Il
faisait bon vivre. Pas la peur des voitures, pas la peur des pédophiles. Elle
soupire. En plus, elle n’aime vraiment pas cet endroit où on l’a enfermée.
Pourquoi diable
était-elle tombée la veille de ses quatre-vingt-huit ans et s’était-elle cassée
la cheville il y a dix-huit mois ? Bon, si elle le sait, elle a glissé sur
le tapis de sa salle de bain en sortant de la douche. Elle a mis plusieurs
minutes à réaliser qu’elle ne pouvait plus se mettre debout. Elle a d’abord
voulu protéger sa nudité et s’est traînée dans sa chambre pour s’habiller. Elle
s’est épuisée à faire ça, du coup quand elle a fini par téléphoner à sa fille
Martine, presque deux heures s’étaient écoulées et ça elle ne veut pas le
comprendre. Elle croit qu’elle est devenue sénile.
Après quinze
jours d’hôpital, un mois de convalescence chez sa fille, cette dernière n’avait
plus voulu qu’elle habite seule. Et pour l’empêcher d’y retourner, Martine
avait pris les devants. Son petit appartement avait été mis en vente. Elle
avait le droit. Ce jour-là, Nelly avait réellement regretté de lui en avoir
fait don de son vivant qu’elle ne doive pas payer des frais de succession à sa
mort. Voilà, comment le piège s’était refermé sur elle et qu’elle avait été
placée dans ce home pour personnes âgées.
Seulement, elle
ne se sent pas aussi vieille que toutes les autres personnes présentes autour
d’elle qui gémissent, qui se plaignent à tout bout de champ, qui déambulent
comme des âmes en peine dans les couloirs comme si elles attendaient simplement
que la mort vienne les chercher.
Il fait trop
beau pour qu'elle reste à se lamenter, sinon elle va devenir comme toutes ses
âmes errantes dans le bâtiment.
Quand elle était
jeune, elle a toujours été partout à bicyclette. D’accord, elle n’a pas été la
fille d’un facteur, mais à l’époque, il n’y avait pas d’autres moyens de
circuler d’un point A à un point B. Il n'y avait pas autant de voitures qu'à
l'heure actuelle. Et pour faire les courses, pour conduire sa fille à l'école,
c'était bien plus simple et plus rapide de se déplacer de cette façon, d'autant
plus qu'elle n'a jamais eu le permis de conduire. Son tendre et aimé mari avait
installé un petit coussin sur le porte-bagage arrière pour Martine et un panier
sur l’avant de sa bicyclette.
Son vélo, elle
l'a utilisé durant toute sa vie. Celui-là et un autre après la mort du premier
après trente ans de bons et loyaux services. Une semaine avant son
malencontreux accident, elle faisait encore les courses dans le quartier avec
lui, c’était bien plus facile et reposant pour se déplacer. Ce qui était trop
lourd à porter, c’était dans les sacoches de la bicyclette. Si elle était trop
chargée, elle le poussait à côté d’elle, elle n’était pas complètement
imprudente non plus quoiqu’en pense Martine.
Et avec le temps
magnifique qu'il fait aujourd’hui, elle a bien envie de faire un tour. Bien
sûr, elle n'a plus son vélo adoré, sa fille bien-aimée, s'est empressée de s'en
débarrasser en même temps que son logement rempli de ses souvenirs.
Une fois de plus,
Nelly secoue la tête pour que dans son esprit ne s’amoncellent pas les idées
noires. Elle ouvre sa garde-robe, elle sort un pantalon bleu foncé côtelé et un
chemisier fleuri à manche bouffante, ce sera plus pratique pour ce qu'elle a en
tête.
Elle se rend
dans sa salle de bain et ôte sa robe que l'aide-soignante lui avait préparée
hier soir. Elle la pend sur le cintre derrière la porte avant de passer ce
qu'elle s'est choisi.
Dans un petit
sac congélateur, elle glisse un gant de toilette qu'elle a humidifié au robinet
de son évier. Elle peut sortir de sa salle de bain pour se rendre à sa
garde-robe et prendre son sac à dos qu'elle a caché entre deux serviettes éponges
dans son armoire. D’un bon pas, elle se rend vers la cuisine où
l’ergothérapeute est en train de faire découper les légumes pour la soupe de
midi aux pensionnaires qui veulent participer.
« Oh, madame
Bonjean, vous venez nous donner un coup de main ? dit-il.
— Non,
j’aimerai me préparer un petit pique-nique.
— Je vous laisse
faire. Vous savez où tout se trouve. »
Elle se prend
une bouteille d’eau, en promenade, il faut s’hydrater convenablement. Trois
tranches de pain et de la confiture avec le soleil c’est mieux, ça ne risque de
tourner. Elle glisse tout ce qu’elle a fait dans son sac à dos après l’avoir
emballé dans du cellophane. Alors qu’elle quitte la cuisine, elle se tourne
vers l’homme.
« Vous
prévenez l’infirmière en chef, je ne serai pas là pour midi, je l’inscris sur
le panneau à l’entrée. Je serai là pour le souper.
— N’oubliez pas
votre destination.
— Non, non,
bonne journée.
— Vous aussi,
amusez-vous bien. »
Ça, c’était
certain qu’elle allait mieux s’amuser qu’en restant dans ce home. Arrivé, à la
porte, elle inscrit qu’elle part faire le tour de la Wallonie en vélo. Un grand
sourire aux lèvres de sa bonne blague, elle tape le code et sort.
Ceux qui la
connaissent seront où la trouver. Nelly marche au moins une demi-heure vers la
sortie du village avant de s’arrêter devant une enseigne de fitness. Elle
pousse la lourde porte et sourit au jeune homme musclé qui donne un cours à
plusieurs jeunes femmes d’une trentaine d’années.
« Bonjour
Nelly.
— Bonjour,
Jean-Michel, Cyril est là ?
— Oui, oui, dans
le parc, il fait beau, il installe justement les vélos. »
Ravie, la petite
mamie traverse toute la salle sous le regard intrigué du groupe qui bouge en
rythme. Elle pousse une autre porte et elle sourit en voyant le grand écran
dressé à l’ombre d’une tonnelle et trois vélos d’appartement placés devant.
Elle est la première, elle va même pouvoir choisir la destination de son petit
tour on dirait bien.
« Voilà ma
cliente préférée, celle qui vient pour la journée, pour se promener longtemps
et pas pour faire de l’esbroufe, dit Cyril en venant à elle pour lui donner un
baiser sur chaque joue.
— Tu vas me
faire rougir.
— Il y a un
moment qu’on ne vous a plus vu !
— Je n’aime pas
quand il faut pédaler en salle, j’attendais le retour des beaux jours, dit-elle
en choisissant le vélo du milieu.
— Est-ce que je
vous inscris pour faire le tour de France comme l’année dernière ?
— Oh, vous allez
recommencer à diffuser les étapes en direct et on pourra pédaler en même temps ?
— Oui, mais le
patron veut savoir le nombre de vélos qu’il doit réserver, s’il met une tente
fermée en cas de pluie. Le nombre de repas qu’il faut commander également sur la
journée.
— Inscris-moi,
Cyril, je ne suis pas obligée de mettre les difficultés quand ils arriveront en
montagne non plus.
— Bien sûr que
non. Alors où voulez-vous vous promener aujourd’hui ? J’ai les forêts spadoises,
j’ai les bords de la Meuse.
— Tu as le tour
du lac de la Gileppe ?
— Je vous mets
ça directement. Vous êtes bien installée, pas trop haute ?
— Non, non,
Cyril, tout est parfait. »
En appuyant sur
les pédales, Nelly commence à regarder l’écran, elle se gorge des images qui
défilent à la vitesse que fait son vélo. Pas rapidement, mais elle veut pouvoir
observer les environs qu’elle n’a plus pu voir depuis des années. Qu’est-ce
qu’elle a pu faire le tour de ce lac en vélo en famille ? Dès qu’il y
avait un rayon de soleil, ils partaient à trois avec un pique-nique pour faire
les vingt kilomètres.
Au départ, il y avait
beaucoup de piétons, il fallait faire attention, surtout sur la partie avec le
barrage avec le lion qui regarde vers les chutes. Plus on s’éloignait et qu’on
rentrait dans la forêt moins il y avait de monde. Pour ça, la vidéo est
magnifique également, elle représente bien la promenade, dès qu’elle rentre
dans la partie plus ombragée, il y a moins de gens. Elle savoure les fleurs sur
le bas-côté, de voir des oiseaux dans les arbres. Qu’est-ce qu’elle regrette
que ce film n’est pas sonore pour entendre le clapotis de l’eau comme à
l’époque ? Elle peut ouïr les merles qui ne sont pas trop loin.
Il y a
maintenant une bonne heure qu’elle pédale régulièrement, elle boit toutes les
dix minutes à la gourde qui est mise à son vélo. Cyril lui a amené un essuie qu’elle
puisse s’éponger de temps en temps. Elle ralentit en arrivant à la hauteur de
l’endroit où elle descendait manger près du lac avec sa famille. Elle finit
même par s’arrêter. Directement, l’entraîneur vient vers elle.
« Vous avez
un problème.
— Tu vois la
table et les bancs, là ? dit-elle en montrant un endroit sur le grand
écran.
— Oui.
— On s’y
arrêtait pour manger, Martine nageait dans l’eau avant le repas. On n’avait pas
besoin de partir loin en vacances pour être heureux.
— Je crois que
vous avez raison, la vie est faite de petits bonheurs, à trop vouloir on passe
à côté de l’essentiel.
— Bon, je
repars, sinon je ne finirais pas le tour aujourd’hui et j’ai envie de pédaler
sur d’autre horizon après. »
Lentement, Nelly
recommence à pousser sur ses pédales, c’est certain qu’elle n’ira pas loin
réellement, mais elle voyage dans son âme et dans son cœur. Elle n’a pas besoin
de plus pour être heureuse et profiter encore de reste de sa vie. Sur son vélo
et avec cet écran, elle traverse le monde entier.
FIN
Si ça vous a plu, il y a
l'option,